mercredi 24 février 2010

Français, je vous ai compris !

S’il y a bien une chose que je dois au poker français, c’est de m’avoir accueilli à bras ouverts. D’ailleurs, me retrouver dans la catégorie « France » dans les chipcount de Pokernews ne m’étonne plus !

Bon, il est vrai que je ne figure pas encore dans le classement Live Poker… Mais tant mieux après tout : mieux vaut être numéro un belge que dixième français ! Je connais personnellement presque tous les réguliers français du circuit, et force est de constater que j’apprécie tout le monde (sauf un ! comme dirait mon ami Vikash).

Au-delà de l’amitié, j’avoue bien aimer jouer contre les français. Je fréquente depuis longtemps les cercles parisiens et participe à tous les tournois de l’hexagone possible, et cela depuis quelques années. Les joueurs qu’on y trouve sont à classer dans deux catégories :

- Les réguliers de l’Aviation Club de France, qui adoptent une stratégie de l’ancienne école, dans un esprit de protection très important, quitte à perdre énormément de value ;
- Les jeunes venus du jeu en ligne, qui protègent très peu leurs mains, quitte à se faire outplayed en jouant small ball et en induced bluff un maximum.

Dans les deux cas, il existe de bons joueurs, même si « l’école des jeunes » regorge de plus de talent selon moi. En prévision de l’EPT Deauville, du FPT Winamax et des EFOP, il me fallait pouvoir exploiter au maximum toutes ces faiblesses qui rendent les tournois du circuit français si attractif.

Je parle ici d’une petite partie de joueurs dits « old-school » qui n’ont pas réussi à s’adapter à l’évolution naturelle du poker. Il faut être honnête : les mauvais joueurs se font de plus en plus rares, et le fish n’a qu’une vie… Il faut donc en profiter avant qu’un autre ne s’en charge.

Une fois repéré, il faut encore réussir à l’attraper. C’est en quelque sorte un art de se faire livrer : Elky ou Ludo sont des spécialistes du métagame qui consiste à créer un faux historique afin de provoquer une grossière erreur chez leur adversaire et d’accumuler des jetons sans souffrir.

Je vais me focaliser sur quatre types de joueurs qu’on retrouve sur le circuit français, en illustrant leurs défauts à l’aide des mains que j’ai disputé durant le dernier mois.

Mesdames et messieurs, je vous présente M. Marrakech, M. Toutpourpapa, M. Ego et M. Jesuisobligédepayer !


M. Marrakech

Signe de faiblesse : aucune notion du pot, overbet constant jusqu’à l’accident, va miser selon la force de sa main, en relançant de manière excessivement forte les petites paires par peur de les jouer après le flop.

A contrario, l’école marocaine veut qu’on place un « trap » avec sa paire d’as avant le flop, en faisant une mini-relance par exemple.

Illustration à l’EPT Deauville

En début de deuxième journée, un joueur réputé par ses nombreux résultats à Marrakech se retrouve à ma table avec un tapis au-dessus de la moyenne. Personne n’a vraiment la position : il fait face à moi.

Sur la première main, je relance avec K J à deux fois et demi la taille de la blinde. En réponse, ce joueur m’envoie quinze blindes : je passe bien sûr… Mais le ton est donné ! Comme prévu, il a tendance à ouvrir à six fois la grosse blinde avant le flop et n’abandonne aucun coup dans lequel il se sent impliqué… Avec pas mal de réussite d’ailleurs. Jusqu’à cette main.

Deux niveaux plus tard, avec A's Q , je relance de nouveau à deux fois et demi sur la blinde de M. Marrakech qui, après réflexion, envoie dix blindes. Je paie avec la position et trouve un flop Ks Q 2s . Il checke. Je sais qu’avec As-Roi ou deux as, il va miser très fort pour protéger sa main face aux nombreux tirages. En revanche, avec deux rois ou deux dames, il va miser tout petit pour se faire payer. S’il checke, c’est qu’il n’a rien. Je pense donc avoir la meilleure main à ce moment et checke, afin de le laisser bluffer plus tard.

Le tournant est un 5s . A ma grande surprise, il envoie tapis pour cinquante blindes dans un pot qui en comprend vingt… Je reste intimement convaincu d’avoir la meilleure main, en le mettant sur un range {JJ ; AJ ; TT} avec un tirage pique. Je paie donc assez rapidement et, à mon grand enchantement, il me montre A 6 , une main avec laquelle il ne peut plus rien espérer !

M. Toutpourpapa


C’est un joueur au mauvais mental, qui est très facilement affecté par les bluffs. Son jeu tight agressif le rend très prévisible, il n’hésite pas à miser et à relancer pour obtenir des informations.

Illustration à l’EFOP à 1,000€

Nous sommes au milieu du tournoi, alors qu’il reste 100 joueurs sur les 200 au départ. Alors que j’ai As-Cinq au cut-off, un joueur relativement agressif relance en milieu de parole et est payé par ma cible, je décide de placer un squeeze : le premier joueur passe et la cible paie. D’emblée, je sais qu’il n’a pas une premium et qu’il devra donc améliorer au flop pour s’impliquer.

Le flop vient 7-4-T. Je m’apprête à faire mon continuation-bet lorsqu’à ma grande surprise, mon adversaire décide de donk-bet le même montant que j’avais fait avant le flop. A mon sens, chez un joueur non-tricky comme lui, c’est 100% du temps une mise pour information. Je lui apporte donc son information en relançant à deux fois et demi pour qu’il se rende compte qu’il devra mettre tous ses jetons au milieu s’il souhaite continuer. Il passe assez rapidement, et je lui montre un cinq histoire de lui montrer mon côté bluffer fou !

Quelques mains plus tard, je trouve deux rois et décide de juste payer sa relance afin de déguiser ma main au maximum. Nous sommes deux sur un flop 7-7-8. Il mise à hauteur des trois quarts du pot et, comme lors de la main précédente, je le sur-relance à deux fois et demi. Il réfléchit longtemps et m’envoie une nouvelle mini-relance. Certes, il peut détenir les as… Mais aussi n’importe quelle paire à partir des huit !

Après réflexion, je décide d’envoyer tous mes jetons au milieu, non sans oublier de faire un petit acting, afin de lui laisser croire que je suis un maniac ! Cela ne loupe pas : il paie directement avec une paire de neuf pour une livraison qui m’a permis de devenir énorme !

M. Ego

Dans le même ordre d’idée, ce joueur est très affecté par son égo, n’a aucune notion de metagame, part vite en tilt et ne supporte pas de se faire voler. Dans notre cas précis, le joueur est un tight passif qui va juste payer des relances avec des mains du type Groupe C {77 ; 88 ; 99 ; AQ ; AJ ; KQs} et ne sur-relancer que TT+. Il était donc intéressant de créer un historique avec ce joueur et de choisir un bon timing afin de le pousser à l’erreur fatale.

Illustration à l’EFOP à 1,000€

Retour dans ce tournoi, où il ne reste désormais plus que quinze joueurs. Ayant deux tapis importants à ma table, il m’est difficile de relancer n’importe quelle main, par crainte de me faire sur-relancer. Je choisis donc soigneusement mes spots : comme cette relance au cut-off sur ma cible, qui est de grosse blinde. Ma main : 7 3 . Après réflexion, il paie.

Le flop est A-J-7. Derrière son check, je fais de même. Vu que j’ai touché un petit quelque chose, pas vraiment besoin de bluffer. Le tournant est un as : il mise trois quarts du pot. Je paie, pensant avoir la meilleure main. De plus, il ne pourra plus bluffer la rivière : je passerai donc s’il mise de nouveau. La rivière est un 8 : nous checkons tous les deux et je le sens passablement énervé de découvrir ma poubelle, qui s’avère gagnante.

Deux tours plus tard, je reçois A Q à la même position et tous les joueurs après moi n’ont plus que quinze blindes. Je pense dans un premier temps à directement faire tapis afin d’éviter de jouer pour la moitié de mes jetons sur un coin flip.

Néanmoins, je reste convaincu que la grosse blinde garde en souvenir le vol de blinde précédent et qu’il peut craquer en envoyant léger. Cela ne loupe pas : après ma relance à deux fois et demi, il m’envoie tapis avec K-9. Je paie et j’ai la chance de gagner la confrontation.

M. Jesuisobligédepayer

Ses faiblesses : il est prévisible, ses tailles de mises sont très souvent révélatrices et il est incapable de lâcher ses grosses mains après le flop.

Je pense qu’il est très intéressant de jouer small-ball contre ses adversaires weak car ils sont plus facile à lire et il est possible de les faire craquer dès le début du tournoi. Le calcul est toujours le même : pour trois blindes investies, on sait qu’on va peut-être en récupérer cent.

Illustration à l’EFOP à 5,000€

En première journée, je repère très rapidement ce joueur situé juste à ma gauche, et en fait ma cible. Sur des blindes 50/100, je fais une mini relance à 200 en début de parole avec 9 T . Il me sur-relance à 800 et, vu la profondeur des tapis (on a tous les deux 25,000), je décide de payer. Le flop est 3 5 T : il mise 1,500 et je paie en le voyant sur une grosse main : j’ai une belle côte implicite. Le tournant est un K : il mise 5,000 et je passe, pour me voir montrer deux rois…

Un tour plus tard, même scénario ! Avec 5 7 , je relance à 200 et ce même joueur envoie 650. S’il fait 800 avec deux rois, j’imagine que 650 équivalent à As-Roi, ou peut-être As-Dame. Je paie.

Flop Q-8-6. Je check, il mise 1,200. Je paie.
Tournant A. Il mise 2,500 et j’hésite… Mais le sentant très fort, je prévois de placer un overbet à la rivière si je touche.
Rivière 9. Boom, touché ! J’envoie 10,000… Comme prévu, il paie très rapidement avec As-Dame !

Ce n’est jamais très bien joué de gaspiller des jetons en début de tournoi sur des tirages pour outplayer ses adversaires… Mais face à M. Jesuisobligédepayer, je ne peux m’empêcher de profiter des côtes implicites qui me sont offertes.

L’adaptation est la clef du succès en tournoi. Cela nécessite un grand travail d’observation, et donc de concentration.

Chaque moment d’égarement peut être fatal : il faut ainsi réussir à cibler les faiblesses détectées chez nos adversaires et trouver des spots profitables contre eux. C’est ainsi qu’on exploite son edge.

A Deauville et à Paris, j’ai su monter des jetons sans prendre énormément de risques, juste en changeant régulièrement de vitesse. Cela me permet de démarrer l’année 2010 avec deux nouvelles lignes HendonMob !

Dans une semaine, nouvelle séquence d’analyse… C’est l’EPT Berlin, où il faudra détecter le style plutôt étrange des joueurs locaux allemands.

Allez… Comme on a dit !

KitBul

Vidéos